J’avais conservé dans Evernote il y a quelques temps un article paru originellement ici ; un post paru dans 99u, un site visant à partager des visions, méthodes et idées créatives pour aider les gens à être plus créatifs ET à concrétiser leurs idées (ce qui est le plus difficile). Bref, cet article est tellement chouette que je me suis dit qu’il fallait que je l’utilise comme base pour le post qui suit. Il aborde un sujet que je trouve capital, et qui recouvre ce dont je parle dans mon premier livre, à savoir « l’expertocratie » dans laquelle on vit et qui, honnêtement, est une vaste blague.
A propos des personnes créatives
Une chose qui sépare les personnes vraiment innovantes des autres est qu’elles semblent en savoir beaucoup sur une large variété de sujets. Ce sont des « experts généralistes » : c’est leur large socle de connaissances qui alimente leur créativité. Steve Jobs disait d’ailleurs sur ce sujet que les gens créatifs ne faisaient en fait que rapprocher entre elles des idées – mais que cette faculté était difficile à appréhender pour les non-créatifs :
Le système scolaire puis académique n’est absolument pas conçu pour intégrer ou même tolérer ce type de fonctionnement cognitif. En effet, tout nous pousse, très jeunes, vers la spécialisation : maths ou lettres, puis sous-spécialisations, puis masters spécialisés, MBA, formations… Dans notre société, à la télévision, dans les journaux, c’est l’Expert qui possède le Savoir, et lui seul qui a légitimité pour commenter les faits. Parce qu’il a amassé quantité de connaissances sur un sujet précis, le commun des mortels pense donc que c’est cet expert qui en sait le plus. L’article de 99u tord le cou à cette idée reçue, et franchement, merci.
Il semble qu’il y ait deux traits de personnalités qui sont absolument nécessaires pour ces « experts généralistes » : être ouvert aux nouvelles expériences et avoir besoin d’apprendre.
– Etre ouvert aux nouvelles expériences est l’une des 5 grandes caractéristiques de personnalité identifiées par les psychologues. Etre ouvert aux nouvelles expériences signifie la facilité avec laquelle une personne aura envie / besoin de tenter, d’essayer, d’adopter, de découvrir de nouvelles idées et opportunités. Ces gens-là apprécient l’idée de faire quelque chose de nouveau et de penser à des choses nouvelles, tandis que d’autres se sentent plus à l’aise dans leur sphère de pensées et d’expériences habituelles. Les deux profils semblent avoir leurs avantages et leurs inconvénients propres.
L’ouverture aux nouvelles expériences peut être corrélée avec la créativité, puisqu’être créatif requiert en effet de faire quelque chose qui n’a pas été fait avant. Si vous n’avez pas d’appétence pour penser et/ou faire quelque chose de nouveau, il va être difficile pour vous d’être créatif.
Cela dit, la créativité, comme le résume Steve Jobs plus haut, requiert également des connaissances. Les nouvelles idées ne jaillissent pas spontanément du vide, contrairement à la physique quantique, où du vide (quantique) jaillissent puis disparaissent quasi immédiatement des particules (virtuelles). L’image populaire du gars créatif qui produit des idées venues de nulle part est un mirage total. Si vous voulez imaginer ou faire quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant dans un secteur particulier, cela implique que vous en connaissiez un sacré rayon sur ce secteur. C’est entre autres ce qui explique que plus la connaissance scientifique avance, plus il sera difficile de voir apparaître un nouvel Einstein : avant de pouvoir accumuler l’ensemble des connaissances actuelles sur telle ou telle branche de la physique, puis d’en voir les limites et de les réinventer, bon courage.
Dans le même temps, la créativité nécessite d’être capable de créer des analogies entre un secteur de la connaissance et un autre. Picasso, ainsi, a mixé des techniques de peinture occidentale avec l’art africain pour créer le cubisme. De la même manière, les scientifiques créent des parallèles entre différentes branches d’étude pour générer de nouvelles idées. Johannes Kepler, ainsi, s’est appuyé sur ses connaissances sur la lumière et le magnétisme pour essayer de comprendre le mouvement des planètes. C’est en étudiant à la fois le magnétisme et l’électricité que Maxwell a pu comprendre le lien qui les unissait et produire ce que la science a appelé « les plus belles équations jamais écrites » (les équations de Maxwell, qui permettront plus tard la relativité restreinte et la physique quantique). J’imagine que les exemples de trans-disciplinarité créative fourmillent et que vous en connaissez d’autres – n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires !
L’importance d’aimer apprendre et d’aimer réfléchir
Dans l’optique d’acquérir une solide connaissance d’une discipline particulière autant qu’un large socle de culture générale, qui servira ultérieurement de minerai pour les analogies, il est important d’aimer penser. D’aimer apprendre, d’aimer se poser des questions, bref, d’aimer se prendre la tête. Tout le monde n’aime pas ça – j’ai toujours ennuyé tout le monde ou presque avec mes questions type « Qu’est-ce qu’il y avait avant le Big Bang? », « Concrètement, c’est quoi une force? » ou « Est-ce celui qui le dit qui l’est? ». Apprendre des choses nouvelles et parfois complexes ou très complexes peut être difficile et frustrant, et aimer se « prendre le chou » sur ces choses-là est un avantage certain au niveau de la motivation à s’y pencher suffisamment longtemps pour en acquérir une solide connaissance. C’est ce que l’on peut appeler le « besoin de penser » (en anglais : « Need for Cognition »). Les gens qui en sont « dotés » adorent penser intensément à des choses pour lesquelles d’autres n’ont strictement aucun intérêt, ces derniers évitant d’une manière générale les situations les obligeant à penser. Les gens qui sont sujets au « besoin de penser » apprécient en fait en lui-même le processus d’apprentissage. En langage courant, on dira que « ça leur fait du bien au cerveau ». Vous avez sans doute vous-même expérimenté cette sensation après une conférence particulièrement éblouissante ou passionnante.
C’est en fait la combinaison de l’ouverture aux nouvelles expériences et de ce besoin de penser qui est puissant. Les personnes possédant ces deux traits de personnalité ont donc développé l’habitude d’apprendre sur tous un tas de sujets, ce depuis qu’ils sont petits. Ils vont tomber par hasard sur un documentaire sur la fabrication de supertankers ou la reproduction des blattes et se passionneront pendant 3 jours sur le sujet, jusqu’à ce que qu’ils estiment avoir étanché leur soif de connaissance dudit sujet. Depuis quelques jours par exemple, je creuse la physique et les arts martiaux – en quoi la façon de faire pivoter le poing au moment de l’impact va générer une force en spirale qui va éviter la dispersion de la force d’impact dans le corps humain, composé en majeure partie d’eau… Ce n’est pas nécessairement la priorité du moment, mais c’est plus fort que moi, j’ai besoin de comprendre plus de choses là-dessus. Point.
Ces personnes dotées donc des deux traits de personnalité (être ouvert et aimer penser) sont ce que l’on pourrait appeler des « Experts Généralistes », parce qu’ils possèdent parfois une très large variété de connaissances. Ils sont à même de suggérer de nouvelles perspectives et manières de voir sur tel ou tel problème. La mémoire humaine n’a pas encore atteint ses limites de stockage – au contraire, il semblerait que l’on devienne de plus en plus « stupide » à force de se reposer sur la technologie -et les « Experts Généralistes », faisant feu de tout bois, stockent un maximum d’informations sur un maximum de sujets, quand bien même telle ou telle information n’aurait aucune utilité immédiate. Ils sont capables de parler de beaucoup de choses et d’avoir sur ces sujets un niveau de connaissance supérieur à la moyenne, sans pour autant être expert du sujet. Le problème, c’est de savoir ensuite quoi en faire.
Les experts généralistes, une espèce perdue
La société moderne ne sait pas quoi faire de ces gens-là. Le système scolaire a tenté de les faire rentrer dans des cases, parfois avec succès (quel dommage pour leur créativité!) ; mais le plus souvent, ces Experts Généralistes cherchent toute leur vie pourquoi ils n’arrivent pas « rentrer dans le rang ». Ils changent de formations universitaires, changent de métiers, se lassent très vite, et voient par contre les « vrais spécialistes » suivre des trajectoires professionnelles rectilignes, parfois très rapides, tandis qu’eux butinent à droite et à gauche, tout simplement parce qu’ils ont l’impression de dépérir s’ils restent en place trop longtemps.
Personnellement, je regarde avec envie et consternation ces spécialistes. A la fois ce doit être passionnant d’étudier toute sa vie à fond un sujet ; à la fois je trouve ça terriblement angoissant de se définir comme expert de tel ou tel sujet. On n’a qu’une seule vie, comment peut-on réussir à choisir de la dédier ainsi à une seule chose ? Comment est-il possible de tirer un trait sur tout le reste ? Professionnellement, comment concilier le fait d’être un Expert Généraliste avec les « attendus » des recruteurs, des clients, des médias, pour qui être expert généraliste c’est être dispersé ?
Amis lecteurs, si vous vous reconnaissez dans ce portrait des « experts généralistes » et que vous avez trouvé des solutions aux questions ci-dessus, partagez-les dans les commentaires ci-dessous !
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