Et si tout ce que l’on croyait sur le management, enseigné à coups de slides dans les écoles de commerce, était totalement faux ? Et si la nécessité d’établir des règlements, des procédures, des hiérarchies, était parfaitement inutile ?
Un excellent article de FastCompany démontre avec un exemple français (si, si!) que tout est encore à inventer en management.
FAVI est une entreprise qui emploie près de 600 personnes et, qui, pour résumer, fabrique des pièces en alliage de cuivre. L’une de ses nombreuses particularité est de n’avoir aucun service RH, et ce depuis bientôt 30 ans. Son ex-PDG, Jean-François Zobrist, a décidé de le supprimer lorsqu’il a pris les rennes de la société, en 1983. Mais il n’a pas supprimé que le service RH.
Il a aussi supprimé l’idée selon laquelle la compétence décisionnelle appartient au supérieur hiérarchique, et, in fine, au PDG. Tout simplement parce que le PDG, pour reprendre les termes de Zobrist, « n’a aucune idée de ce que les gens font ». Cela ne signifie pas pour autant qu’il ignore leur métier ; simplement, il assume une vérité de base qui est que chaque ouvrier, chaque employé, est le plus à même de savoir comment faire ce qu’il fait tous les jours. En aucune manière le PDG n’a, là dessus, une compétence quelconque. Affirmer une telle idée et la diffuser dans l’entreprise a une conséquence absolument positive : « si mon supérieur ne le sait pas mieux que moi, alors c’est à moi de trouver la réponse ». Déresponsabiliser ainsi le management permet en fait de transformer les employés en « entrepreneurs » de leur métier : ils deviennent responsables de leur fonction. Ils lui redonnent alors un sens. Et font mieux leur job. Zobrist explique lumineusement que le problème du management classique réside dans sa capacité à réduire à néant l’aptitude à la décision chez la plupart des employés. De peur de mal faire ou pour ne pas assumer une erreur, on prend l’habitude de se retourner vers son supérieur. Qui fera de même, et ainsi de suite jusqu’au PDG. Dans cette logique donc, tout le monde est stupide, sauf le PDG.
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Assumer de ne pas savoir
Quand une logique devient absurde, il faut l’éliminer… Zobrist a donc un jour proclamé tout simplement que s’il y en a un de stupide, c’est le PDG. Lui. Parce qu’il faut laisser les gens résoudre eux-même les problèmes concernant des sujets dont ils ont toute connaissance : ils en ont la capacité, mais ne le savent pas. Lorsqu’on sait déléguer, on est toujours surpris du talent qui peut alors se manifester chez les collaborateurs. Et en plus, ça donne moins de travail à celui qui délègue ! Affirmer haut et fort « je ne sais pas » quand on est PDG et qu’on est en France est particulièrement osé. Et franchement, j’adore l’approche développée par Jean-François Zobrist, qui a réussi à faire fonctionner sans aucun problème sa société en faisant table rase de toutes les habitudes, méthodes et process classiques de management. Et ça marche.
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« Je ne vous paye pas. Les clients, si. »
Chez FAVI, Zobrist a supprimé le concept même de hiérarchie. L’entreprise s’organise en « îlots » qui s’auto-gèrent autour d’une mission fondamentale, évidente, que bon nombre de nos grands groupes devraient afficher en grand sur leurs murs : satisfaire le client. Lorsqu’il est devenu PDG, Zobrist a réuni ses troupes et leur a dit : « demain, quand vous arriverez au travail, vous ne travaillerez pas pour moi ou pour votre supérieur. Vous travaillerez pour les clients. Je ne vous paye pas. Eux, si. Vous faites donc ce qui est nécessaire pour eux. »
Zobrist voit ainsi la fonction de PDG comme à la fois les phares et le pare-brise d’une voiture : fournir la lumière et la vision. Le reste, par exemple l’équipement, les outils, les espaces de travail, les horaires ou les process, tout ceci est et reste entre les mains de ceux qui y travaillent. C’est leur redonner plein contrôle de leur métier, de leur fonction, de leur créativité, au service d’une mission : le client.
Cette vision managériale pleine de bon sens s’appuie finalement sur la même logique que l’organisation en Squads chez Spotify ou les Google Design Sprints, qui fonctionnent vraiment vraiment bien: redonner l’autonomie aux équipes, en brisant littéralement la chaine de décision verticale.
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L’invention du crowdsourcing
Cet exemple m’a fait penser à un cas d’école dans le même genre : l’armée américaine en Normandie, en 44, se cassait les dents sur un problème totalement imprévu par tous ses experts et autres généraux 5 étoiles : le bocage normand. Les chars d’assaut ne parvenaient pas à les passer, s’immobilisaient et se faisaient littéralement canarder par les chasseurs allemand, qui s’en donnaient à coeur joie sur des cibles fixes. Eh bien, c’est parce que l’armée a laissé ses soldats chercher et trouver une solution que tout s’est débloqué (il faut imaginer, surtout à l’époque, la révolution conceptuelle que c’était ; le crowdsourcing d’innovation n’était pas vraiment en vogue). C’est en fait un soldat de base, paysan en civil, qui a trouvé la solution. Et les chars ont pu à nouveau se déplacer. Et nous ne parlons pas allemand ! J’en parle (avec un horrible accent anglais) dans une conférence ici si ça vous intéresse.
L’article de FastCompany est un régal d’impertinence managériale. Amis CEO, PDG, managers : inspirez-vous !