…ce post est pour vous, j’espère qu’il vous aidera un peu.
J’ai tendance à penser que si l’on creuse un peu derrière la façade, la plupart des gens ne savent absolument pas où ils vont, ni pourquoi ils en sont arrivés là. Certes, il est de bon ton d’afficher en public une vraie confiance en soi professionnelle, une « expertise métier » ou une carrière à la « trajectoire météoritique », mais en réalité, tout ceci ressemble plutôt à ce à quoi on aspire tous, pas tellement à ce qu’on est réellement. Parce que je doute que la plupart des gens se posent réellement et en toute franchise, la question: « Quel sens je donne à ma vie? »
D’ailleurs, je vous pose à mon tour une question: aujourd’hui, êtes-vous exactement à la place (fonction, job, salaire, pays, ville…) où vous pensiez être il y a 10 ans ? Il y a peu de chances. Le hasard, les rencontres, la (mal)chance jouent un rôle incroyable dans une vie – mais on pense quand même tous la contrôler. Ce qui signifie que sur les profils LinkedIn ou Viadeo, une grande partie de la façon dont on se présente est tiré d’un processus de post-rationnalisation prétendument nécessaire à la « cohérence » de nos parcours professionnels. C’est, pour le dire simplement, mettre de l’ordre dans un beau chaos – ce chaos, c’est la vie. Poussé à l’extrême, on en arrive aux dérives du personal branding, activité hautement masturbatoire à laquelle on s’adonne tous plus ou moins consciemment un jour ou l’autre, et contre laquelle je m’insurgeais récemment dans le mensuel Cadres et Dirigeants (et là, vous me direz que je fais du personal branling, et vous aurez raison).
Hasard du calendrier, quelques jours après, j’ai eu l’occasion de passer des tests de personnalité professionnelle dans un cabinet RH réputé de la place parisienne. Je n’avais jamais passé de tels tests, et le résultat a dépassé mes espérances: je suis à peu près inemployable par une entreprise. L’ironie d’un tel résultat, après avoir publié toute une tribune dans le très sérieux « Cadres et Dirigeants » m’a quand même paru assez savoureuse. Il n’empêche que tout ceci est venu, une fois encore, poser avec force LA question à un million de dollars étant donné le chaos la diversité de mes expériences et activités professionnelles: qu’est-ce que je fais dans la vie ? Quelle est mon expertise ?
« Que faire de ma vie ? » « Comment choisir ? » « Tout m’intéresse, c’est affreux »…
Ces questions peuvent réellement pourrir les journées des gens qui cherchent avec insistance une cohérence professionnelle et un sens à leur vie, parmi des dizaines d’expériences qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Elles m’ont pas mal pourri la mienne ces derniers temps. Il se trouve qu’en discutant avec une étudiante qui se posait eu ou prou les mêmes questions, j’ai compris récemment un petit quelque chose que je voudrais partager avec vous, un petit quelque chose que j’ai trouvé assez apaisant face à ces angoissantes questions existentielles.
Quand tout est flou, tracez des points
Lorsqu’on était enfant, on a tous dessiné sur ces cahiers où il suffisait de relier des points pour obtenir un dessin complet, qu’on aurait sinon été bien incapable de dessiner seul. Au départ, ce qu’on a, c’est un nuage de point et des chiffres.

Pas de forme définie. C’est en reliant les points dans l’ordre que l’on finit par découvrir la forme du dessin. Plus il y a de points à relier, plus le dessin sera précis. Au début de la vie professionnelle (j’englobe les études supérieures, parce que c’est là que l’on commence à faire des choix), ce que l’on est (expériences, personnalité, connaissances) est assez proche d’une page blanche. On a certes quelques petits points ici ou là, mais c’est tout: bac S, ES ou L, passions, hobbies, rêves…Rien de bien fourni, en somme. Et c’est bien normal: la vie ne fait que commencer. Ensuite, au fur et à mesure que le temps passe, à chaque nouvelle expérience, on rajoute des points sur sa feuille. Certaines personnes à la trajectoire réglée comme du papier à musique enchaînent néanmoins les étapes les unes après les autres et se construisent un parcours on ne peut plus chiant cohérent:

Les autres, elles, s’essayent à ceci, à cela, bifurquent, testent…passant d’un boulot à l’autre, d’un hobby à l’autre, sans se poser sur l’un ou l’autre, en consacrant plus ou moins de temps à ceci ou à cela. La feuille blanche de leur vie est ainsi constellée de points de taille variable, disposés suivant un chaos apparent qui finira par les agacer eux-mêmes, incapables qu’ils sont de tracer le moindre schéma à partir de ce doux bordel. Certains points apparaissent puis disparaissent lorsqu’on est certain qu’on ne le refera pas deux fois. D’autres grossissent parce qu’on y revient, plus ou moins par hasard.
Ma feuille blanche personnelle est par exemple un doux désordre: j’ai fait du Droit, un peu de BD, tenté de monter une entreprise, fait un DUT, le Celsa, changé de filière au sein du Celsa, monté une entreprise, fait du conseil, tenté le salariat, été associé dans une startup médicale, associé dans une startup lié à l’économie sociale et solidaire, écrit 2 livres qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, fait des conférences…etc. Certains de ces points existent toujours aujourd’hui parce que j’y trouve un intérêt (entrepreneuriat, conférences, écriture…). Mais globalement, difficile de répondre à la question qu’on se pose tous les uns les autres à chaque soirée : « et sinon, tu fais quoi dans la vie ? »

Si vous aussi vous avez des tas de points partout en désordre sur votre feuille blanche de la vie, que vous en avez marre d’être le seul à ne pas voir le dessin global qui se dessine, PAS DE PANIQUE. Le principe de ces dessins pour enfants avec des points à relier, c’est que sans un nombre suffisant de points, impossible d’en tirer la moindre esquisse de forme. Votre feuille blanche personnelle n’est peut-être tout simplement pas configurée pour accueillir simplement quelques points alignés sur une droite parfaite. Peut-être que votre dessin personnel est bien plus complexe, et donc bien plus long et bien plus difficile à tracer. Dans ce cas, il vous faudra un grand nombre de points avant de commencer à ne serait-ce qu’entrevoir quelle forme se cache derrière ce fouilli de points. Ce n’est qu’avec le temps, et surtout en multipliant les expériences (et donc les points) que vous finirez par découvrir votre dessin personnel (car il s’agira plus d’une découverte que d’une décision, rationnelle, voulue et réfléchie).
Personal Eurêka: trouver son « Genius personnel »
C’est seulement au moment où vous aurez suffisamment de points tracés sur votre feuille blanche que vous comprendrez, a posteriori, quel est le lien, quelle est la cohérence entre eux. Car il y en a nécessairement une, mais elle ne vous est pas accessible encore. Ce n’est qu’une question de temps, et de capacité à créer de nouveaux points. Nombre de personnes plutôt âgées et expérimentées m’ont raconté avoir compris tard ce qui les faisait vraiment vibrer dans la vie. Elles tournaient autour depuis longtemps, mais n’arrivaient pas à mettre un mot dessus. Certaines expériences professionnelles fonctionnaient ainsi facilement tandis que d’autres étaient laborieuses ; certaines réussites étaient aisées tandis que d’autres échecs étaient incompréhensibles rationnellement. C’est simplement que lorsque ce à quoi on s’occupe fait écho à ce qui nous fait réellement vibrer, on y est naturellement doué, tandis que pour le reste, c’est comme nager à contre-courant: on s’épuise pour un résultat médiocre (ainsi de ma compétence en comptabilité). Ce n’est qu’au bout de plusieurs années d’expériences professionnelles variées que ces personnes-là ont enfin compris quel était leur carburant, leur « Genius » personnel.
Les Romains disaient que l’une des missions sacrées de l’homme consiste à chercher, trouver et mettre en application son Genius personnel. Pour le dire de manière marketing, c’est trouver sa « raison d’être ». C’est ce que je fais de temps en temps en entreprise, aidant la direction de la com (et parfois le PDG) à chercher, trouver et exprimer le « why » de l’organisation. Il faut parfois 8h de workshop acharné pour y parvenir, mais c’est à chaque fois une sorte de moment de grâce. Néanmoins, certaines personnes parviennent tout à fait facilement à vivre sans ressentir nullement le besoin de chercher un sens à leur vie, et profitent du temps comme il vient ; certaines autres, dont je fais partie, ont viscéralement besoin de savoir ce qu’elles font là et quoi faire du temps qui leur est imparti. Certes, tout ceci consomme pas mal de Doliprane, mais en même temps je trouve qu’il y a quelque chose d’exaltant dans cette quête d’identité.
Car au-delà d’une réponse nécessairement auto-centrée, c’est le genre de question qui oblige à s’interroger sur la vie, l’univers et le reste (même si, bien entendu, on connait déjà la réponse).
Chouette article, merci !