Un article paru dans Challenges et faisant état du « problème Zuckerberg » illustre à merveille à quel point les investisseurs boursiers sont incroyablement à côté de la plaque.
Résumé des faits : l’introduction en Bourse de Facebook a déçu les investisseurs et les actionnaires, pour qui la chute du cours de l’action Facebook est inacceptable et due à des informations d’introduction trompeuses.
Première remarque : les gars, si vous voulez gagner à tous les coups et sans prendre de risque, il y a le Livret A. Si vous voulez parier sur l’IPO d’une valeur aussi colossale et opaque que Facebook, assumez les risques. Pas besoin d’être devin pour calculer qu’un titre qui s’échange 47 fois les bénéfices annuels estimés (16 fois pour…Apple ou Google) a de fortes chances d’être surestimé, surtout pour une boite dont le business model reste à définir clairement.
Ensuite, et c’est là qu’on touche le fond, des investisseurs installés et réputés râlent dans Challenges à propos du comportement « immature » et « autocrate » du fondateur de Facebook :
« Il n’en fait qu’à sa tête et il envoie le mauvais message avec son comportement d’adolescent : sa priorité est de changer le monde, alors qu’il devrait faire progresser le cours de l’action ! »
Je suis absolument estomaqué par la stupidité de cette remarque, pour deux raisons :
- L’étroitesse de vue de cet investisseur fait froid dans le dos. « Changer le monde » n’est donc pour lui qu’un passe-temps pour adolescent immature, et « faire progresser le cours de l’action » est sa seule préoccupation. « Changer le monde » est précisément la plus belle et la plus nécessaire, surtout en ce moment, des ambitions ! Mais non, ces parasites officiels de l’économie qu’on appelle les financiers, qui créent de l’argent avec de l’argent, non avec leur talent ou leur travail, n’en voient même pas l’utilité ! Quand je pense que ce sont ces mêmes investisseurs qui font danser nos gouvernants avec la menace de la dette, ou qui obligent une entreprise à licencier pour faire « progresser le cours de l’action », ça fait froid dans le dos.
- C’est précisément parce que cet adolescent immature et autocrate de Zuckerberg s’est donné comme ambition de « changer le monde » en créant une entreprise milliardaire employant quelques milliers de personnes, que des armées de petits analystes financiers (comme le râleur cité plus haut) existent et peuvent manger. Ces gens-là ont autant de mérite que les critiques littéraires : ils n’ont pas le talent pour écrire mais existent uniquement grâce aux écrivains qu’ils aiment étriper dans leurs critiques.
En lisant cet article, je pensais que la bêtise maximale était atteinte. Mais non ! Nos amis de la finance ont de la ressource dans le domaine. Plus loin, un autre persifle à propos du sweat à capuche que portait Mark Zuckerberg lors de son roadshow précédant l’IPO :
« C’est une marque d’immaturité. Il doit réaliser qu’il fait entrer les investisseurs comme partie constituante de sa société, et qu’il doit leur montrer le respect qu’ils méritent parce qu’il leur demande de l’argent. »
Ainsi donc, dans notre monde moderne si intelligent, ce n’est pas au financier – qui ne fait rien d’autre qu’investir l’argent des autres – de montrer du respect aux entrepreneurs – qui investissent leur argent, leur vie et toute leur énergie – mais l’inverse… Dans le monde complètement dépassé des investisseurs, les rois, ce sont eux, simplement parce qu’ils ont la main sur le carnet de chèque.
C’est à eux de réaliser que lorsqu’une start-up s’introduit en Bourse, c’est eux qui ont la chance d’embarquer dans une aventure où la plupart des risques ont déjà été pris par un seul type ou par une équipe réduite, ayant eu suffisamment de génie pour passer de l’idée à la réussite ; une aventure où bien souvent, les mêmes investisseurs regardaient de haut les jeunes entrepreneurs en early stage, leur disant par exemple que jamais un service de micro-blogging en 140 caractères n’aurait le moindre avenir…
Cet article de Challenges est révélateur de la fracture profonde entre le monde de la finance et l’entrepreneur. Heureusement qu’il existe des gens assez talentueux pour tenir bon face à ces prétentieux de financiers, et pour s’obstiner à vouloir « changer le monde ». Pour un Jack Dorsey ou un Steve Jobs, combien d’entrepreneurs rêvant de changer le monde ces investisseurs ont-ils déjà détruits ?